Marseille, Ville de lumière et de flamme depuis 1000 ans
Il est tôt, ce matin. Très tôt. Le jour n’est pas encore levé et ne se prépare en rien à ouvrir, même timidement, une seule de ses paupières. C’est vraiment encore la nuit. Pourtant une foule impressionnante a envahi le Vieux-Port. Malgré cette affluence dont le point cardinal est le « quai des Belges », tout cet environnement est étonnement calme. Pour quelle raison tant d’hommes et tant de femmes de tous âges et de toutes conditions se sont-ils rassemblés en ce lieu et en cette heure ? Quel peut être l’événement qui les a tirés de leur paisible et chaude couche ? Tirés ou quasiment « fait tomber du lit » ? Car on ne se retrouve pas sans raison sur le Port, à cette heure peu catholique, à moins d’être pêcheur ! Mais tous ces hommes ne sont pas des « pescadous de la martiale » et toutes ces femmes ne viennent pas sur le quai de la Fraternité dans le but d’acheter les poissons frais et frétillants d’une bouillabaisse ou les coquillages lustrés d’un aïoli !
Un bateau en vue
Soudain une sorte d’agitation s’empare du quai, sans pour autant en rompre la silencieuse harmonie. Au droit du Port, entre les deux rives, la « neuve » d’un côté, l’ « antique » de l’autre, une voile s’avance. Le navire n’est ni un voilier majestueux (type Belem, par exemple !), ni un lourd bateau de pêche, ni même une tartane aux flancs renflés. Cette voile n’est pas davantage celle d’un ancien vaisseau de guerre ou d’une de ses annexes, ni celle d’un vieux bâtiment de commerce. C’est une simple barque. Une modeste barquette marseillaise. Une lumière brille à son bord. Faible et fragile comme paraît être, elle-même, cette petite embarcation. La lueur, toute pâle, ne saurait avoir pour vocation d’éclairer l’étrave pour faciliter l’accostage.
La barque s’approche maintenant du quai. Un des hommes à bord, certainement un matelot, tient haut en mains une sorte d’apparaux ou d’agrès difficilement identifiable. Il reste immobile, dressé à l’avant comme une figure de proue. Avec l’approche de la barque, la scène devient de plus en plus explicite. Le marin apparait tout habillé de blanc et son aube, sorte de longue toge dont les plis semblent gravés dans du marbre, tombe droit de ses épaules à ses pieds. La lueur permet maintenant de mieux deviner l’objet que l’homme vêtu de blanc tient dans ses mains. Ce n’est pas un instrument de navigation, ni un outil de bord. C’est un livre. Un Livre dont il présente la face décorée à la foule sur le quai.
La barque pivote sur son erre. Le pilote, il faut le reconnaître, sait manœuvrer son esquif en main de maître. Un vrai « accostage à l’amiral » ! Le bordé épouse le quai comme une main caresse une épaule amie. De la barque descend alors l’homme porteur du Livre qu’il tient toujours à la hauteur de son front. La foule s’écarte silencieusement et respectueusement pour leur faire place.
Mille cierges verts réveillent le jour pointant son sourire entre les deux Forts aux noms de saints qui encadrent la passe du Port.
Une sainte Flamme …
Nous sommes le 2 février. Il ne s’agit pas de l’arrivée du Belem porteur de la Flamme olympique mais de la fête de la Chandeleur. Là, chaque année à cette date, une barque, un Livre « les Évangiles », et une Flamme accostent au Port. Ils viennent de la mer et touchent Marseille devant la ferveur du peuple chrétien réuni en cette nuit pour accueillir la Lumière surgissant des flots.
À l’occasion de l’arrivée de la Flamme olympique ce 8 mai 2024, il m’a semblé utile de rappeler que notre ville de Marseille accueille depuis des siècles une Flamme venant de la mer. Et, ce depuis 1000 ans ! Dix siècles. La tradition fait, en effet, remonter à l’an Mil cette fête créée sous l’influence de l’Abbé Isarn de Saint-Victor. La barque évoque celle ayant conduit en Provence les saintes Maries. Le grand historien Ruffi, en 1696, relate le débarquement de saint Lazare.
La foule des pèlerins, car il s’agit bien d’un pèlerinage tel que l’a défini le professeur Jean Chelini, quitte le port en procession pour se rendre à l’Abbaye de Saint-Victor en empruntant la rue Sainte qui n’a jamais si bien porté son nom. L’ancestrale voie sacrée résonne des cantiques au rythme lent du pas des fidèles. Il faut avoir vécu cette ferveur du peuple chrétien de Marseille, première cité évangélisée de Gaule. L’Abbaye aux voûtes immenses sera trop petite pour les recevoir tous. L’Évangile trônant et rayonnant en tête du cortège marque l’arrivée par la mer du Christianisme à Marseille, en Provence et en terre de France.
Cierges verts, Lumière sur le monde, et … navettes héritières du boulanger Aveyrous les ayant créées en 1781 pour rassasier les pèlerins.
Chandeleur, Barque des Saintes et Belem
Le Belem apportant à Marseille, sous une forme sportive, laïque et historique, la Flamme des Jeux olympiques, chausse les bottes d’une tradition millénaire marseillaise. Une Flamme qui n’a cessé d’accoster à Marseille depuis 1000 ans. Tradition d’autant plus belle et riche que le nom même de Belem signifie Bethléem, lieu de naissance du Christ.
D’ailleurs au journaliste de France 2, monsieur Alban Mikoczy qui m’interrogeait devant le Marégraphe et le splendide panorama de la rade traversée par le Trois-mâts , j’ai répondu :
« C’est beau comme … une crèche ! ».
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