Skip to main content

Les actualités de
Monsieur Légionnaire

Conversation toulonnaise avec un ami

Carte de l’île de Corse, dressée par le Service Hydrographique de la Marine – Relevé de 1887
Carte-Corse.png
Point indiquant le village de Morosaglia.

Conversation toulonnaise avec un ami

Le 16 avril 2025

À tous les Babbi et Babboni de Corseet du Continent (1)

- « Savez-vous, cher ami, que 2025 est l’année d’un tricentenaire célèbre ? ».

- « Vous me parlez de 1725. Attendez ; nous sommes sous la couronne du Bien-Aimé. Louis le quinzième règne sur la France depuis 10 ans déjà. En cette année 1725 le souverain épouse Marie Leszcynska ».

- « Il ne s’agit point d’un mariage, mais si vous voulez d’un événement familial ».

- « Si ce n’est un mariage, peut-être alors une naissance, à moins que ce ne soit un décès ? ».

- « Disons une naissance ».

- « Serait-ce, en gestation, celle de l’Académie de Marseille ? ».

- «  Marseille, en effet, est grosse de son Académie mais qui ne verra le jour qu’en 1726 ».

- « Qui donc a pu choisir cette année pluvieuse comme aucune autre ? ».

- « Ne pensez ni à Marseille, ni à Paris, ni à une ville continentale ; songez à des rivages … insulaires ».

- « Ceux de Corse, peut-être ? ».

- «  Précisément ».

- « Vous voulez me faire deviner la naissance de Pascal Paoli ! ».

- «  Félicitations. Filipu Antone-Pasquale Paoli nait, en effet, en 1725, le 6 avril,  à Morosaglia, berceau de la famille Paoli ; très exactement au hameau de Stretta, à deux pas au Nord de Corte. Je pense qu’il a été prénommé Pasquale en raison de la proximité de sa naissance avec le jour de Pâques de l’année 1725 qui tombe précisément le 1  er avril  ». 

- «  Effectivement cela se fête ; vous avez entièrement raison, il serait injuste de ne pas souligner une telle naissance et de ne point célébrer ce tricentenaire. Raison de plus d’y penser à la veille de Pâques.

Vous êtes attaché à Pascal Paoli ? ».

PP1.jpgPlace de Pascal Paoli à Ile Rousse, photo Pierrot MARIANI

- « Bien entendu. Malgré quelques considérations historiques de départ ».

- «  Comment cela ? ».

- « Il s’est insurgé contre les Génois, chaussant en cela les bottes de Hyacinthe, son père. Or, mes ancêtres étaient génois, quittant Gènes au XVI ° siècle pour s’installer en Corse. Ils se firent élever une grande et belle maison à Ajaccio sur la Place de la Cathédrale, juste en face, demeure alors connue sous le nom de  « Casa Beverini ». La « casa » était célèbre. Ils y transportèrent le siège de leur négoce en viandes bovines, maintenant et développant leur entreprise. Naturellement ils épousaient le parti de la République contre les insurgés et les futures prétentions des Paolistes. Gènes tenait les villes portuaires et les côtes érigées de tours, mais pas l’Intérieur. Les montagnes et maquis étaient aux mains des Paolistes. Les vieux clochers aux dômes de pierres carillonnaient des chants d’indépendance et de Liberté que le Libecciu transportait aux quatre coins de l’île. Au sens propre comme au sens figuré le cœur de la Corse était pour Gènes « l’ennemi de l’Intérieur » !   L’inscription toujours gravée au fronton de la citadelle de Calvi « Semper Fidelis » signifie « Toujours fidèle » … à Gènes ! ».

- «  Vous l’admirez cependant ? »

- L’homme aimait profondément sa Corse ancestrale et n’acceptait aucune domination étrangère sur sa Patrie, que celle-ci fût génoise, française ou de toute autre nature. Il déclarait : « Si j’avais cent vies je les sacrifierais toutes » et encore «  Les rochers qui nous entourent se liquéfieront avant que je cesse d’être attaché à la liberté de la nation ». Il s’opposa en ce sens à la cession de l’île à la France en 1768 ».

- «  Il la plaça tout de même, mon cher, sous la souveraineté anglaise lorsque, après avoir été élu lieutenant-général de la Corse, il rompit avec la Convention ! »

- «  La Convention niait la Liberté ; elle n’était qu’une nouvelle oppression. Et le terme est faible. La Corse, si elle n’a jamais été conquise, n’a jamais cessé d’être colonisée tout au long de son histoire : par les Grecs mais eux fondèrent Aleria ; c’était en 557 av-J.-C. ; puis par les  Romains qui prirent la suite des Carthaginois mais ne laissèrent aucune trace mémorielle. Terre d’exil et de désolation : il suffit de relire Sénèque. Les barbaresques la ravagèrent avec toute la délicatesse qu’on leur connaît. Puis ce fut le tour des Byzantins, des Carolingiens, des Sarrasins … jusqu’à cette mainmise par Gènes au XVI° siècle. Je passe les épisodes d’occupation par les troupes françaises au milieu du siècle. Au vu de cette histoire, comment ne pas vouloir une Corse enfin indépendante, disposant d’une assemblée libre et d’Institutions démocratiques ? C’était l’espoir et la volonté de Paoli. Pour Rousseau, d’ailleurs, l’île réunissait toutes les conditions pour instaurer précisément un gouvernement démocratique. Faut-il rappeler ses considérations sur ce sujet dans le Livre XII de ses Confessions ? Et dans le Contrat Social ? 

Ce n’est pas sans raison que Paoli mérita le titre de « Babbu », de père vénéré de la Patrie, élaborant en 1755 la première Constitution moderne et démocratique, prononçant l’Indépendance de la Corse, créant en 1765 l’Université de Corte … ».

« Et Bonaparte dans tout cela ? »

«  Bonaparte : lorsque le 15 mai 1768 Louis XV achète à Gènes la Corse pour quelques millions, Paoli convoque à Corte une assemblée des communes, car évidemment tout se fait et se décide par dessus la tête des intéressés. Et, croyez-moi, ce n’est pas spécialement dans le tempérament corse ! Un des délégués présents prononce un violent discours contre le nouvel envahisseur. Son nom : Carlo-Maria Buonaparte. Son fils allait faire trembler l’Europe. Il reprocha plus tard à son père d’avoir abandonné Paoli. Pour Napoleone, Paoli est un dieu ! Tout jeune élève à Autun, il n’a pas encore 10 ans, alors que son professeur, le Père Chardon, lui demande pourquoi Paoli, réputé grand général, a été battu à Ponte-Nuovo, il répond : «  Oui, monsieur, c’était un grand général ! Je voudrais lui ressembler ». 

Père, mère, Napoléon lui-même, toute sa famille ont admiré Pascal Paoli. On a même soupçonné madame Letizia d’avoir eu un sentiment pour lui. Le jeune Bonaparte a effectivement épousé le patriotisme du Babbu et son chauvinisme corse. « Corse de nature et de caractère » notait un autre de ses professeurs à Brienne ».   

« Mais cette admiration pour le Babbu ne dura pas ! »

« Le temps a fini par faire son œuvre. Mais il fallut du temps, beaucoup de temps. La Révolution éclate à Paris. Bonaparte a 20 ans. Le jeune officier du Roi va faire taire son paolisme. Pourtant n’avait-il pas écrit à Paoli alors exilé en Angleterre : « Permettez-moi, mon général, de vous offrir les hommages de ma famille. Et de mes compatriotes. Ils soupirent au souvenir d’un temps où ils espéraient la Liberté ». 

Mais les choses étant ce qu’elles sont, le 14 juillet 1791, Bonaparte, à Auxonne, prête le serment civique « à la Nation, à la Loi et au Roi ». Le tournant est pris vers et pour la Révolution, disons, la Nation. Pourtant la rupture n’est pas encore totale entre les deux hommes. Elle sera consommée lorsque Paoli, s’élevant contre la Révolution dont il n’espère plus rien, décide de jouer la carte anglaise. Bonaparte devient alors aux yeux des partisans du Babbu l’homme à la solde des français, l’homme à abattre. Le 29 avril 1793 les paolistes sont sur le point d’assassiner le traître à la Patrie, le  « traditore de la Patria ».  Bonaparte échappe de justesse à la mort. À Ajaccio, « la Casa Buonaparte »  est pillée et en partie brûlée par des paolistes descendus des montagnes. Letizia est contrainte de prendre le maquis ! Avec ses enfants. Imaginez la mère du futur Empereur courir le maquis, déchirer sa robe, noire évidemment, dans les ronces et les arbousiers, suivie dans un effrayant silence, par les prochains rois de tant de nations d’Europe ! Le maquis n’est pas prêt d’oublier cet épisode de son histoire. Si Napoléon a pu écrire à Sainte-Hélène « Ma vie est un roman », il a embarqué toute sa famille dans sa légende. 

Savez-vous, cher ami, ce que Paoli dit un jour à Bonaparte : « Tu es un héros d’Homère ! ».

L’homme, pour le coup, avait de l’intuition et de la clairvoyance. 

PP.png
Place de Pascal Paoli à Ile Rousse, photo Constantin LIANOS

Mais contrairement à Ulysse, Paoli ne revit jamais de son vivant sa Patrie tant aimée. Exilé une seconde fois en Angleterre, il y mourut le 5 février 1807, à l’âge de 81 ans. Le 6 septembre 1889 ses cendres furent « rapatriées », au sens profond du terme, de Londres dans la maison natale de Morosaglia transformée depuis en musée.     

À Marseille, le 19 avril 2025
Veille de Pâques
Jean-Noël Beverini
*******
(1) Babbu : père
Babbone : grand-père
  • Vues: 1416